En 1870, l'artillerie française ne dispose que de canons de campagne en bronze, souvent peu précis et dont le chargement par la bouche ne permet pas une grande cadence de tir (de l'ordre d'un à deux coups à la minute !). Ce retard de l'artillerie est une cause parmi d'autres de la défaite de 1871. En 1877, l'artillerie reçoit les nouveaux canons fonctionnant sur le système de Bange, dans les calibres de 80 et 90 mm, le 80 équipant les batteries d'artillerie à cheval des divisions de cavalerie, les 90 les batteries d'artillerie montée des divisions d'infanterie. Il s'agit d'un canon fiable, précis et puissant, qui constitue un bon matériel de transition, dans l'attente d'un canon au tir plus rapide, d'une mise en oeuvre plus simple.
Les études préliminaires
Nommé directeur de l'artillerie, le général Mathieu confie au comité technique de l'artillerie le soin d'étudier un projet de nouveau matériel de campagne.
Les premières études sont conduites avec un canon de 90 et montrent que la solution du long recul du canon est possible mais que la présence du frein augmente de façon sensible la masse du canon. L’augmentation de la cadence de tir autorise une réduction du calibre afin de garder au canon un poids permettant une grande mobilité.
Le 10 mars 1892, le général Mathieu approuve le programme suivant :
calibre : 75 mm
poids en batterie : 1100 kg
poids en ordre de marche : 1700 kg
affût : à bêche de crosse
frein : entre bouche à feu et affût
munitions : obus à balles
obus explosif
vitesse du projectile : 600 m/s
La conception du 75
Le directeur de l'atelier de construction de matériel d'artillerie de Puteaux, le chef d'escadron Deport (ancien officier du 12e), est chargé de construire un prototype de canon de campagne équipé d'un frein hydropneumatique (brevet Haussner).
En octobre 1893, les premiers essais sont menés dans les fossés du Mont-Valérien. Le capitaine Sainte-Claire-Deville, qui succède au chef d'escadron Deport, apporte des améliorations au projet, qui prend son aspect définitif : frein et récupérateur montés en série, hausse indépendante, bouclier, appareil de pointage avec collimateur et goniomètre, caisson à basculement, culasse Nordenfeld, coulissement sur l’essieu, etc. Seul le frein pose encore problème et il faut attendre 1896 pour obtenir le prototype définitif.
L’espionnage allemand étant particulièrement actif dans le domaine de l’armement, une habile manœuvre d’intoxication des services de contre-espionnage français fait croire aux Allemands que le 75 Ducrot à affût rigide est plus efficace et que l’Armée française est sur le point de l’adopter, manœuvre qui incite l’artillerie du Kaiser à adopter sans tarder un canon de 77 mm à affût rigide.
L’adoption du projet définitif
Le 16 novembre 1896, le projet est adopté par le Conseil supérieur de la guerre et le 28 mars 1898, reçoit la dénomination officielle de “ matériel de 75 modèle 1897 ”.
La pièce définitive possède les caractéristiques suivantes :
longueur de la pièce : 2,475 m
poids de la pièce en batterie : 1100 kg
portée : 6,5 km
vitesse initiale de l'obus : 529 m/s
Le caisson à basculement, conçu par le capitaine Sainte-Claire-Deville, permet de transporter verticalement 72 obus immédiatement prêts au tir après basculement.
La conception de nouvelles poudres, produisant moins de fumée que la poudre noire, est un grand progrès car il permet de réduire l'intervalle entre les coups, sans être contraint d'attendre la dissipation de la fumée.
L'équipe de pièce comprend un chef de pièce et six servants : le pointeur à gauche du tube, le tireur à droite, deux pourvoyeurs, un déboucheur, un chargeur.
Les premières armes du 75
Officiellement présenté au public à Longchamp lors de la parade du 14 juillet 1899, le nouveau canon participe dés l'année suivante à l'expédition de Chine, avec un groupe de trois batteries de 75, issues du 20e Régiment d'artillerie de Poitiers. Le 31 décembre, une section de la 15e batterie (lieutenant Malandrin), ouvre le feu contre un assaut de Boxers, le brisant net.
C'est la Grande Guerre qui donne au 75 ses lettres de noblesse, à tel point que le canon devient le symbole même de la victoire.
En 1914, l'artillerie française aligne près de 4.000 pièces de 75, elles seront plus de 5.000 en 1918.
En 1939, le 75 constitue encore le matériel majeur des régiments d’artillerie légère de campagne, hippomobile ou automobile. Il sera en service pendant toute la guerre, notamment dans les régiments d’Afrique du Nord.